Fred Solojak

Fred Solojak

Extraits

Voici quelques brefs extraits du bouquin.  Ils ne sont pas justifiés (mis en page) comme dans le livre.

 

"Censure"

...

— Décidément, ils ont fait des progrès depuis l’époque du Colonel, les… CENSURÉ, commente-t-il en s’épongeant le front.

Il évoquait le Colonel S…, un mercenaire hautement galonné dont il avait été un des porte-flingue, à la joyeuse époque des rébellions postcoloniales.

— Je ne veux pas vous décevoir, mais y a pas grand-chose d’intéressant là-dessous, ajoute-t-il. Le train ne passe plus depuis le génocide de quatre-vingt-douze... J’vous l’ai dit ; la piste ne sert plus qu’aux réfugiés, aux déserteurs et aux pillards sanguinaires… Et à voir le nombre de macchabées, ceux-ci n’ont pas chômé !

Son passager ne lui répond pas. Il laisse dériver la caméra sur la piste que l’ombre de l’avion dévide, tel un infini fuseau de laine. De fait, les talus de la voie et le ballast sont jonchés de cadavres et de ballots éventrés.

— Y a dû y avoir un de ces baroufs pas possible pour qu’ils abandonnent comme ça leurs guenilles et leurs casseroles, reprend le pilote… Houla ! Un vaillant guerrier !

L’avion glisse sur l’aile tandis qu’une silhouette, empennée d’un fusil d’assaut, s’agite, pendant quelques secondes, dans l’œil de la caméra.

— Il doit avoir le chargeur à sec, marmonne le pilote… Sans quoi… Dîtes, si on reprenait de l’altitude ? J’ai pas envie de finir au tapis…

En guise de réponse, une liasse de billets de banque s’affale sur ses cuisses.

— Atterrissez ! ordonne l’homme-à-la-caméra, en indiquant de l'index une trouée dans la forêt, à une centaine de mètres de la piste. Vous aurez le double si vous m’attendez deux heures ! O.K. ?

— Et les vaillants guerriers ? proteste encore le pilote avant de se souvenir de quoi il avait été capable, autrefois, du côté de Bukavu. Certes, il ne possède plus sa Sten aux balles infaillibles, mais il dispose d’arguments plus efficaces… Rapidement, il érode de quelques billets la liasse, les enfourne dans sa poche de poitrine et fait disparaître le reste sous son siège. Ensuite, les mâchoires serrées, il effectue un premier passage au-dessus du dégagement, afin de vérifier s’il déroule les deux cents mètres indispensables à un atterrissage de broussard. Au second passage, l’avion se pose en cahotant.

— Voilà le travail, mon prince ! dit-il, en se retournant vers le siège de son passager.

Il est vide. L’homme-à-la-caméra a déjà sauté du Piper. Sa silhouette, emportée par une démarche souple, trace dans l’herbe haute un sillon incisif en direction de la piste de Kuzimu.

Le pilote hausse les épaules, se masse longuement les mains afin d’en assécher la sueur, allume une cigarette et sort du casier à oranges qui lui sert de vide-poches un roman d’Hervé Bazin que Vendredi, libraire occasionnel, lui a vivement recommandé.

Avant de l’ouvrir, il plonge les mains sous son siège et en ramène un revolver dont il vérifie, avec une désinvolture d’expert, le chargement du barillet.

 

(pages 13 et 14)

 

"Partenariat"

...

L’homme-à-la-caméra n’a pas peur. Il connaît ce genre d’irréguliers de l’armée provisoirement victorieuse, de mauvais sujets focalisés sur le pillage des populations en fuite. Il possède de quoi les amadouer. Il sort de sa poche de poitrine un bristol bariolé.

— « Press », dit-il avec fermeté en l’offrant au regard du plus chef des deux chefs.

— Dollars ! braille aussitôt celui-ci… And « Jewels » Bijoux… Watch !

— No « jewels », no « watch » !  Already stolen ! O.K. for dollars ! répond l’homme-à-la-caméra en sortant d’une poche de son pantalon une liasse de billets verts et un paquet de cigarettes.

Il balance ces somptueux cadeaux aux pieds du chef, montrant par ce geste ostentatoire à quel point il ne le craint pas. Le chef les ramasse, après avoir donné l’impression, dans un premier réflexe, de vouloir les piétiner. Comme ses hommes ne se ruent pas sur lui pour s’emparer d’une part du butin, l’homme-à-la-caméra conclut qu’il s’agit d’un bon chef. Il décide de lui proposer un contrat de partenariat à durée très limitée…

— Can j film you ? For TV… CNN…

Tout à l’évaluation de la liasse, le chef fait semblant de ne pas avoir entendu.

— More dollars, dit-il enfin, les yeux étrécis.

— Yes, more dollars ! reprend le chœur de ses fidèles troupiers.

— Après avoir filmé… Je filme d’abord et je repars ! I film first and I leave alive…

Le chef éclate de rire, une fraction de seconde avant tous les autres.

— OK-OK, hoquète-t-il… Let’s go !

Et en guise de signature à l’alliance précaire, sa Kalach s'abaisse vers le sol.

 

Pages 22 et 23

 

"Cogitations"

 

L’homme-à-la-caméra commence à s’embêter. Cette piste de chiottes ne lui a-t-elle pas déjà délivré le meilleur d'elle-même ? Tout ce qu’il pourrait encore y grappiller ne noierait-il pas l’essentiel, la tête du captain Bomolo, sous un flot d’images superflues ? Le téléspectateur n’en serait-il pas incommodé au point d’espérer au plus vite le début de la série de 22 heures ou les résultats sportifs du week-end ? Mais n’est-il pas trop tard ? N’a-t-il pas déjà condamné le captain Bomolo au carcan d’une « séquence » parmi tant d’autres ?

Soudain, l’homme-à-la-caméra plisse les yeux et se passe une langue gourmande sur les lèvres : l’IDÉE géniale vient de jaillir en lui ! Si au premier montage qu’il effectue toujours seul, il coupait la scène du décapité ? S’il décapitait une deuxième fois ce fils de pute de captain Bomolo ? Excellent ! Quand il aurait ferré Karl Baumeyer, le boss de la CBD, à qui il réservait habituellement ses primeurs, il lui parlerait, tout en chuchotis alléchants, d’un « document exceptionnel », d’un « caviar premier choix pour estomac bien accroché… » Et il ferait grimper les prix… Si Baumeyer faisait la fine bouche, ce serait Luciano Brecci, Président de la BCD et homosexuel notoire, qui tournerait de l’œil en visionnant l’abominable rictus du devenu très cher captain Bomolo…

 « Depuis quand n’a-t-on plus diffusé une scène de décapitation ? s’interroge l’homme-à-la-caméra. Depuis l’Irak, je crois, avec le Japonais… Mais le cadrage et les images étaient pourris, tandis que chez moi, si on ne visualise pas l’exécution, on en voit nettement le résultat ! »

À condition de louvoyer avec habileté entre le nobliau teuton et la tantouze ritale, la tête du captain Bomolo lui permettrait d’éponger le crédit de sa 911, de remiser la caméra au placard et de s’envoler pour les Seychelles, en compagnie, sans doute, de la somptueuse Samantha…

 

Pages 29 et 30

 

A suivre...

 

l'homme à la caméra.jpg



12/11/2019
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