Fred Solojak

Fred Solojak

Merci à mon ange gardien (1)...

 

Cette année-là, mon ange gardien s’appela Catherine…

 

Catherine, je l’ai rencontrée à un stage de haute-montagne, en Oisans, et elle se la pétait. C’était la seule française du groupe et  —vengeance de « p’tit belge »—  ceci explique sans doute cela… C’était une jolie fille en proie à quelques problèmes cutanés qui trahissaient la ténacité de l’adolescence.  Qu’importe, on la sentait capable d’être chouette, au-delà de ses forfanteries et de son accent flûté, de son petit air à vous prendre pour ce que vous étiez sans doute, de tout ce spectacle quelque peu pathétique qui la voyait dériver entre les toiles du campement, à la recherche d’un signe de sympathie un peu appuyé… J’ignore comment elle avait atterri dans notre groupe. Personne ne la connaissait, mais était-ce une raison pour lui dire « fous le camp ! »,  comme on le ferait avec un chien errant, un huissier agressif ou un malfrat débutant s’excusant presque de vouloir vous taxer votre portefeuille ? Le fait était là : elle était disposée à nous suivre, à faire cordée avec l’un d’entre nous. Comme nous étions en nombre impair, sa proposition nous arrangeait…

 

J’ai oublié comment je me suis retrouvé encordé à elle, en route vers un objectif commun. Sans doute parce que moi aussi, j’étais un ado attardé, oscillant  entre le romantisme du hussard sanguinaire et celui du Pierrot lunaire. De loin et dans l’ombre, Catherine avait de quoi satisfaire l'appétit d’un vorace dévoreur de silhouettes féminines et, n’ayons pas peur d’une vérité prescrite, j’ai probablement eu quelques velléités horizontales, dans un univers tout en verticalité. Qu’importe les détails salaces, ce ne fut pas et, ne vous en déplaise, je n’en ai que de très vagues regrets de vieillard atteint d’Alzheimer...

 

Ce qui reste dans ma mémoire, ce fut une traversée du Pelvoux, — un sommet flirtant avec les « 4000 » —,  qui se termina dans le brouillard, puis dans la tempête. Nous ne distinguions plus le bout de nos gants et, quant aux pieds, existaient-ils encore ou flottions- nous sur un roulis de neige, de caillasse fuyante et de mugissements venteux ? Quand le soleil revint, nous étions sur une contre-pente inconnue, probablement créée là pour nous emmerder et nous plomber les mollets. Remarquable Catherine, elle fut le moteur de cette ascension perturbée et, une fois rendus dans la vallée ensoleillée, sans un mot, mais le visage épanoui et presque beau, elle me fit comprendre « qu’elle avait trouvé ça formidable »… D’un seul coup, ses manières affichées sur le plancher des vaches  n’eurent plus aucune importance pour moi ; elle était devenue une compagne de cordée extrêmement fiable…

 

Nous repartîmes pour l’ascension du « Coup de Sabre », un couloir de glace développant une très intéressante verticalité. Au pied de la voie, après le franchissement impeccable des séracs, nous nous regardâmes. Elle rit. Elle était vraiment très chouette, Catherine, quand elle riait… Son rire répondait à mes questions : « S’encorde-t-on, établit-on des relais tous les trente mètres, comme une cordée de Bataves précautionneux ? » Non… Crampons au pied, piolet bien assuré dans la main, dragonne autour du poignet, nous nous sommes rués sur la glace…

 

Côte à côte, nous avons fait la course, non seulement celle proposée par la montagne, mais surtout celle pour arriver « le premier » au sommet. On ne prit pas de risques ; on prit « tous » les risques, sans pour autant une seule fois nous sentir en péril. Nous laissâmes sur place quelques lourdes cordées, au point qu’elles durent avoir l’impression de reculer. Ce fut  une merveilleuse matinée et Catherine arriva avant moi…

 

Ce qui me sauva probablement la vie.

 

Car, lorsque j’arrivai cinq secondes après elle, tout heureux et prêt à yodler à l’infini, elle me cria « Attention !!! » Je me rétractai, redescendit de quelques centimètres… J’allais tout bonnement planter mon piolet dans ce que je croyais être une corniche de glace bien compacte et qui, en fait, chauffée par le soleil, s’était transformée en un potage sirupeux. Autrement dit, si Catherine n’avait pas gardé un œil sur moi, si elle n’était pas restée attentive, tout simplement, à notre cordée, aussi désunie soit-elle, toute la corniche allait s’arracher et m’entraîner dans un tango mortel de 400 mètres, en accélération continue, sous l’œil effaré des lourdes cordées qui, au souffle de mon passage, auraient être projetées vers le haut...

 

Elle s’appelait Catherine, cette fille-là qui m’accompagna en un été disparu. Elle aussi est sortie de ma vie. Où est-elle ? Vit-elle encore ? Est-elle mariée, entourée d’enfants, pardon de « grands, de très grands enfants » ? Qu’importe ! En cette fin de matinée, au sommet du « Coup de Sabre », ce n’est pas vraiment à elle que j’ai dit « merci »…  

Fred Solojak



25/03/2013
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