Fred Solojak

Fred Solojak

Les Elodiades (5) - A ceux qui passent et repassent...

 

 

 

 

A la page de dédicace de « El, tout simplement… »,  vous trouvez ceci :

 

« A Marc et Jean, pour leur aide à l’élaboration de ce livre...

                       A Jicé, pour son amour patient...

                      A Michel et Jacques, tombés de l’aiguille de la Dibona... »

 

Dan Bracco m’a naïvement demandé « qui étaient  ces gens ». « Naïvement » car Dan Bracco se défend d’avoir lu le livre. C’est faux. J’ai retrouvé mon exemplaire personnel complètement écorné par un lecteur furax qui se voulait anonyme : lui.

 

Je lui pardonne, ainsi que « El » l’aurait fait, et je réponds  à sa question.

 

« Marc et Jean » m’ont aidé. C’est indéniable. Ce sont les deux évangélistes bien connus. Le premier est simple, le second compliqué. Mais l’un ne peut se comprendre sans l’éclairage de l’autre. Et inversement. « El », quelque part, est une sorte de synthèse, sans grande prétention,  des deux ; simple et compliqué à la fois… 

 

« Jicé » me reste partiellement  inconnu. Pourtant, il s’est  présenté à moi, il y a plus de cinquante ans, comme « fils de Dieu ».  C’était prétentieux et je ne lui ai pas encore pardonné ce débarquement dans ma vie qui, depuis, m’oblige à réfléchir avant de parler, à partager avant que de dépenser, à essayer d’aimer « l’autre »  avant que de lui tourner le dos… C’est l’invraisemblable Jésus-Christ, l’obsédant de service, qui n’arrête pas de me dire « je t’aime » alors que je fais tout pour qu’il me haïsse, afin de profiter d’une paix plénière dans un esprit libre. En vain. Moi, je n’ai qu’un esprit d’homme, lui, celui de Dieu... Je ne suis donc pas de force... Sans lui, je serais sans doute plus heureux mais je n’aurais pas écrit « El ». Grande perte pour moi-même ; petite perte pour la littérature !… 

 

Quant à « Michel et Jacques », là, c’est vachement plus douloureux. Plus question de théologie rêveuse ou vaseuse, selon que l’on se situe à droite ou à gauche des  Evangiles. Michel et Jacques étaient deux copains —pas les meilleurs, simplement des « bons », des « très bons ». Ils faisaient partie de cette troupe de jeunes liégeois qui sévissait dans les Alpes, dans les Calanques, en Oisans, sur les calcaires de Provence, de l’Ourthe et de la Meuse, fin des années soixante-dix… C’étaient des grimpeurs. Pas des meilleurs — ô non. Rien que des « bons », des « très bons »  en devenir…

 

Le sort ou Dieu sait quoi en a décidé autrement. Un jour, ils sont partis pour la Dibona…

 

La Dibona, c’est l’ultime chicot d’une gigantesque denture alpine antédiluvienne. Presque caricatural, ce sommet est épointé comme une pique de lansquenet. Dans un paysage désertique,  il semble faire un doigt d’honneur permanent à toutes les montagnes amples et neigeuses qui l’entourent.  Je l’ai grimpée deux fois, cette Dibona rocailleuse,  au temps de ma splendeur. Ce fut même mon tout premier sommet. La première fois, c’était en compagnie d’une fille qui m’avait plaqué la veille et de deux copains qui n’arrêtaient pas de se foutre de moi à cause de ça. Probablement perturbé, alors que j’ai souligné que la Dibona était inratable, j’ai quand même loupé le départ de la voie et nous nous sommes retrouvés tous les quatre sur un sommet annexe, à regarder notre objectif initial avec les yeux ronds du con parfait. N’empêche, un premier sommet, même loupé, ça marque… Quelques années plus tard, j’ai réessayé. J’étais au top de ma forme. Je grimpais si bien que les flamands, dans les vallées ardennaises, quand il avait la chance de me voir passer, disaient, dans leur idiome : « il ne grimpe pas, il court ». Je jure que c’est vrai. C’est en compagnie de l’un d’eux que j’ai attaqué la Dibona par une variante un peu plus dure que la «voie normale ». J’en ai oublié le nom. Je pourrais le retrouver dans mes archives mais ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’importe encore,  c’est le souvenir de cette course merveilleuse. Tout s’était déroulé sans accroc, à une vitesse époustouflante, sans même se payer une nuit au refuge. Le pied absolu…

 

Belle Dibona, ce jour-là, été 60-18 ou 60-19…

 

Mais quelques années plus tard, la salope m’a pris Jacques et Michel, en les faisant chuter de sa terrasse sommitale.  On les a retrouvés, toujours encordés. disloqués sur le pierrier… 

 

Cordée inséparable même jusque dans la mort.

 

De Michel, je garde ce souvenir ; nous étions dans sa voiture, enfin dans celle de sa mère. Nous dérivions entre Esneux et Neupré. Il fumait la pipe, non pour se donner un genre, mais parce qu’il aimait ça. C’est là qu’il m’a appris à saucer le rugueux tabac de la Semois avec de l’Amsterdamer odorant comme une cuisine exotique. Il m’a parlé de ce mélange en poète, avant de me le faire goûter. Un nectar. Plus de trente ans après, je salive rien qu’à évoquer ce goût unique, seul legs d’un ami…

 

De Jacques, j’ai gardé des images de bonhomie et de naïveté. C’était vraiment le « brave type », à peine sorti des jupes de sa mère et du costard trois pièces de son père. Quand on était en bande, on se foutait de sa gueule, notamment à la calanque d’En Vau quand il s’était mis en tête de se cuire des pâtes sur son réchaud Bleuet. Déjà que c’était interdit, lui, il n’avait pas fait dans la dentelle ; il avait tapé ses spag’ dans l’eau froide, ce qui fait que deux heures après rien n’était cuit… Le tendre con ! Des filles charitables lui avaient alors expliqué comment faire avant de partager leur quignon de pain. L’une ou l’autre avait envie de lui pour d’autres initiations plus intimes  mais il ne l’aura jamais su. Il est mort puceau ou presque et c’est là où je trouve parfois le destin dégueulasse…

 

Ce sont  les meilleurs qui nous quittent les premiers…  C’est archi-rabâché. Le problème, c’est que personne ne sait, au moment de la grande bascule, que ce le sont eux, les meilleurs…

 

C’est pour qu’ils l’apprennent, post mortem, que je les ai foutus, Michel mon pote poète et Jacques mon vilain cuistot à gueule d’ange, en tête du bouquin ; afin que « El » —qui, comme chacun l’ignore, a d’immenses pouvoirs— les garde bien au chaud dans mon cœur, un peu comme des ressuscités immobiles, un peu comme ce « Jicé » dont ils avaient parfois le visage, l’âme et le regard…

 

Ils me manquent, les salopiauds, comme me manquent  le temps de la jeunesse et de la Dibona… Ce temps où les flamands disaient de moi, s’ils avaient suffisamment d’acuité visuelle pour me voir passer, ce que ma modestie naturelle m’empêche de répéter…

 

Timide, Solojak ? Un peu ? Beaucoup ?  Pas du tout !… Il me suffit de me rappeler Jacques et Michel, des bons copains, de merveilleux fantômes,  de fabuleux alpinistes qui ignoraient que je les aimais…

 

Parce qu’à l’époque, « on » croyait avoir le temps de le leur dire un jour…

 

Grâce à « El », c’est chose faite ! ****

 

 Fred Solojak

 

 

**** Pour savoir "comment", lisez "El, tout simplement..."!!!

 

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25/05/2012
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